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Quand Sottsass est parti j’ai pris une claque
Publié le VENDREDI 27 NOVEMBRE 2020


Sottsass, vainqueur du Prix de l’Arc de Triomphe 2020, a quitté l’établissement normand de Jean-Claude Rouget pour l’Irlande depuis plus d’un mois désormais. De la joie aux larmes. Du bonheur aux souvenirs. Comme ses collègues, Frédéric Ponthier, son garçon de voyage, a  longuement mâché son désespoir. Il régnait entre eux la complicité d’un vieux couple après deux années extraordinaires.

 « On était tous sur un petit nuage. On n’en revenait pas. Et ça a duré ainsi plusieurs semaines. On se disait on l’a fait, on l’a fait. C’est  prestigieux. Il y a je ne sais combien d’entraîneurs qui rêvent de gagner au moins une fois dans leur vie l’Arc de Triomphe. Et nous voilà ! Monsieur Rouget l’a fait au bout de 35 ans de carrière. Désormais, je pense que certains ne le considéreront plus comme un petit entraîneur de province. On aime bien dénigrer tout ce qui est extérieur à Paris. Là, on peut être fiers d’être sur la ligne des géants que sont notamment  messieurs Fabre ou O’Brien ». Près de deux mois après la victoire de Sottsass dans la plus convoitée course de galop au Monde, l’euphorie retombe peu à peu en Normandie dans l’écurie de Jean-Claude Rouget. Seul le manque reste prégnant. Le champion a laissé tant d’amour à Deauville où l’entraîneur palois possède désormais une antenne. Frédéric Ponthier, son garçon de voyage, sans doute l’homme le plus proche du champion avec sa cavalière d’entraînement Léa Metayer, en a conservé le cœur lourd. C’est comme si les aiguilles du temps s’étaient soudainement arrêtées.

"Il avait le coeur. Il avait aussi l'envie"

« Il est parti en Irlande, chez Coolmore, l’un des plus importants haras, environ deux semaines après son triomphe dans l’Arc. Les premiers jours qui ont suivi son départ, on rentrait dans l’écurie, on voyait son box vide. Il y avait un manque. Il était si imposant. C’était un super cheval, magnifique, avec une tête expressive. Quand on passait devant lui, même si on ne le connaissait pas, on était poussé à jeter un œil. C’était une sculpture. Un très beau pur-sang.  Il avait le moteur pour gagner l’Arc. Il avait le cœur, il avait aussi l’envie. Comme tous les athlètes, Sottsass avait la rage de vaincre. Il avait tout. Quand il a quitté l’écurie, j’étais en déplacement pour les courses à Lyon. Tout le monde m’a dit à l’écurie que ce n’était pas plus mal. Léa m’a téléphoné et elle m’a appris la nouvelle en pleurs « ça y est Pompon, il est parti ». J’ai pris une claque. J’ai n’ai  pu retenir mes émotions. Je savais l’histoire terminée. Cela dit, il n’avait plus rien à prouver. On a fait le boulot jusqu’au bout. Du très bon boulot », en souffre encore Frédéric. Restent de longues heures de proximité, où l’existence de l’un forge la réussite de l’autre, gravées pour l’éternité. Néanmoins, Sottsass, comme beaucoup de cracks, avait son tempérament.

"il faudra qu’ils aillent très vite pour l’accrocher"

« Au début ça a été très compliqué. Il stressait énormément ou plutôt je dirai qu’il cogitait. Dès qu’on arrivait sur l’hippodrome, et pire encore au rond de présentation, ce n’était jamais une partie de plaisir. On avait dû  faire du « schooling » pendant deux réunions. Je l’ai emmené une fois à Chantilly, une autre fois à Saint-Cloud en mode « préparation course » sans courir, juste pour lui apprendre, pour lui faire comprendre qu’il n’y avait rien de bien méchant à venir sur un champ de courses. Simplement  pour qu’il se mette dans le bain, pour qu’il encaisse les voyages, qu’il accepte  le monde autour, le public. A ce moment précis, on avait pour objectif le Jockey-Club. Il fallait prendre les devants. Je craignais surtout le défilé. C’était ma hantise qu’il fasse un peu la course avant la course, qu’il se mette en flotte. Quand Cristian Demuro est monté dessus, je lui ai dit Cristian, c’est mon premier Jockey-Club en tant que garçon de voyage, fais-moi plaisir je le sens très bien. Pourtant, un quart d’heure plus tôt, on avait eu un petit contretemps avec les bouchons dans les oreilles. Au rond, c’était lui, un gladiateur. Je le sentais.  Je le connaissais par cœur alors que je n’ai  jamais posé mes fesses dessus. On avait juste à se regarder pour se comprendre. Je savais s’il allait ou pas. Juste avant l’Arc, quand monsieur Rouget est arrivé  pour le seller, je ne l’avais jamais eu comme ça. Ça sentait très bon. Je l’avais vu à sa manière  de marcher, à sa façon d’être, c’était Rocky avant de monter sur le ring. A tout mon staff, j’ai dit aujourd’hui il faudra qu’ils aillent très vite pour l’accrocher. Ils n’ont pas eu cette chance », se souvient encore ce préparateur et cet ancien jockey d’obstacle qui saute sur la moindre occasion de se remettre en selle. « Quand il y a besoin et que je n’ai pas de crinières à faire ou à m’occuper du matériel, et surtout quand je ne suis pas en déplacement, il m’arrive de monter le matin. Ça fait du bien un lot ou deux rien que pour le cardio ». Surtout quand les kilomètres s’enchaînent parfois plus vite que les victoires. Et chez Jean-Claude Rouget, il faut avaler de l’asphalte pour y parvenir. Mais aussi pour évacuer une pression constante. « Il y a toujours cette petite adrénaline continue quand on s’occupe d’un cheval comme ça, mais je pense que c’est ce qui fait la beauté du métier. On pourra toujours nous reprocher de ne pas avoir couru la Breeder’s Cup, mais Sottsass est sorti par la grande porte. Il nous a conduits dans un rêve éveillé. On attend maintenant avec impatience sa progéniture ».

Fabrice Rougier


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