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Cédric Rossi : Je pourrais tuer un être humain, mais jamais un cheval
Publié le VENDREDI 29 OCTOBRE 2021


Photo Jean-Michel Tempier

2021 restera une année particulière pour Cédric Rossi qui y aura remporté ses deux premiers Groupe I, dont un à Ascot dans les Champion Stakes. Au lendemain d’un retentissant coup de quatre sur ses terres phocéennes, l’entraîneur de Calas nous a accordé un entretien au bord des pistes. Avec cette franchise qui le caractérise, mais sans quitter ses pur-sang des yeux. Ils sont bien plus que des pensionnaires. Ils font partie de la famille. 

Mardi 26 octobre, 10 heures. Centre d’entraînement de Calas. Le soleil diffuse à peine ses premières chaleurs. Cédric Rossi est comme chaque matin en bord de piste. Attentif, très concerné. Chaque cheval est scruté, chaque lot est suivi de très près. A quelques encablures du Vélodrome, la ferveur est la même. Un bon galop se résumerait presque à une chevauchée fantastique de Dimitri Payet. Seule la pelouse change. Sur les Plaines de l’Arbois, l’herbe est plus verte qu’ailleurs. A 20 kilomètres au Nord-ouest de la cité phocéenne, si les professionnels du galop ne peuvent scander qu’ils seront à jamais les premiers, ils ont bel et bien rattrapé leur retard sur les écuries parisiennes. Et les résultats se traduisent dans la détermination. « Marvin, on fait tous un petit canter pour finir », « Franck, tu fais un bon galop de chasse ». Cédric étire ses cordes vocales quitte à perturber la quiétude de cet espace naturel qui vous sort du temps. « J’ai cette chance d’avoir de bons piliers qui sont depuis des années à mes côtés. Je peux compter sur eux en toutes circonstances. L’inverse est également vrai. C’est quand même en grande partie grâce à eux si l’on est là aujourd’hui. On ne s’occupe jamais de soixante chevaux tout seul. D’autant plus que je ne les monte pas », glisse le meneur de jeu. Rien ne laisse supposer que le mentor marseillais en a gagné quatre la veille dans son fief de Borély. Et pourtant, loin des classiques parisiens ou d’Ascot, cette réunion avait des airs de fête pour l’écurie. Sa Tuna y avait enlevé le Handicap de Marseille pour la casaque familiale de l’Ecurie du Sud, Blue Wings avait enchaîné en faisant sien le Prix Delahante, le Graal pour les 2 ans du Sud-est, avant que We Ride The World et Roxy Music se présentent pour corser l’addition. Un menu quatre étoiles. Cédric Rossi l’a déjà avalé, presque digéré. Impassible, comme toujours. « Je dégage rarement des émotions. Un coup de quatre ne change rien. Je suis peut-être un peu plus sollicité en raison des résultats, mais je garderai avant tout mes clients. Je jouerai toujours à fond la carte du respect et de la fidélité. Les chevaux sont bien à l’heure actuelle. Ils ont également fait face à de bons engagements. On possède des 2 ans qui ont du pétrole. Je pense que Blue Wings sera du reste ma future crack. Je l’adore. Quand on entraîne bien ses chevaux, ils sont mieux dans leurs têtes », analyse l’un des fers de lance de la nouvelle génération en PACA. Près de 2 millions glanés sur les hippodromes de l’hexagone rien que pour l’année en cours. Et seulement une quarantaine de soldats prêts à courir dispersés dans une soixantaine de boxes.

Un début d’année pourtant compliqué

Un bilan hallucinant, surtout après une entame de saison que Cédric n’est pas prêt d’oublier. « Quand j’ai gagné début janvier à Deauville avec Satorie, 48 heures plus tard les trois-quarts de mon effectif est tombé malade. Je peux vous garantir qu’on revient de très loin. J’ai cru tout perdre », poursuit-il. Cédric en « marronne » encore, pour reprendre le vocabulaire du pied des calanques. Lui, si attaché à sa cavalerie. « Mes chevaux font partie intégrante de ma famille. Ils sont si innocents. Ils sont là parce qu’on leur demande. Si on ne les met pas en confiance avant d’aller au combat, mieux vaut arrêter ce métier. Vous savez, je pourrais tuer un être humain, jamais un cheval. L’homme est quand même la pire des races. Il peut tellement faire de mal. Il y a des personnes, que je ne citerai pas, des gens y compris avec qui tu as été bienveillant, qui seront toujours là pour te casser en deux.  Comme on dit l’ignorance devient alors le meilleur des mépris ». Pour chasser au grand galop ses idées noires, le technicien se réfugie auprès des siens. Derrière ses pensionnaires en premier. Il conduit le camion, il marche ses compétiteurs lors de l’avant-course, il leur parle, les caresse, les rassure. Qu’importe s’ils quittent le rond de présentation pour un réclamer ou un Groupe I. Ainsi passent les jours. A vitesse grand V. « Hier, j’ai redescendu Skazino qui courait le Royal Oak dimanche à ParisLongchamp. Samedi j’étais à Saint-Cloud. En 48 heures, j’ai dû dormir trois heures. Alors j’ai pris la décision de ne pas remonter jeudi à Paris pour accompagner Belgian Prince. J’irai à la pêche. Ce week-end, je partirai voir mes amis au Lavandou pour faire quelques parties de boules. Je n’ai pas besoin de grand-chose, juste de m’offrir quelques parenthèses de plaisir avec ceux que j’aime, avec mon tonton Michel ». Cédric trouve son exutoire dans la proximité.

« Cette valeur travail j’essaie de l’inculquer à mes enfants »

Avec une famille soudée en toile de fond. Des parents attentifs (Jacques, son papa s’affairant du reste encore à l’administratif de l’écurie), une femme sur qui il peut s’appuyer dans chaque décision, deux beaux garçons pas peu fiers de parfois conduire leur papa aux balances,… les fondations jouissent d’une stabilité absolue. Et pourtant, Cédric désirerait apporter à son petit monde bien plus encore. « Le boulot, le boulot, le boulot,… On travaille tellement pour gagner. Une victoire résume l’assiduité. On a une vie pas de misère, parce qu’on gagne quand même un peu d’argent, mais il faut constamment opérer des choix. J’ai vécu ça petit. Quand je jouais au foot ou au tennis le week-end, mon papa n’était pas là pour me supporter. Ce travail est tellement prenant, exigeant.  Si on l’a choisi c’est seulement pour gagner. Et pour y parvenir, il faut s’en donner les moyens. Mon papa m’a dit un jour « je ne vous ai jamais vu grandir ». Mais à ce que je sache, on a quand même eu avec mon frère Charley une enfance exceptionnelle. On est partis au Club Med, on voulait des Air Max, on allait s’acheter des Air Max, on demandait un nouveau vélo, on l’avait dans la foulée. Cette valeur travail, j’essaie de l’inculquer à Cendro et Alessio mes deux fils. Je leur répète sans cesse que si je ne suis pas là, c’est parce que je suis parti travailler. Pour que vous ne manquiez de rien. J’ai toujours eu pour modèles des personnes qui sont parties de rien, comme le Chef, monsieur Jean-Pierre Dubois, avant de construire un empire. On est parfois obligé de briser certaines choses à côté. Malheureusement, on ne fait pas un métier de 35 heures. On travaille avec des animaux, du vivant. Je reste un papa poule, oui, mais je pourrai faire encore mieux. Ma femme Paola incarne aussi cette réussite. Elle travaille avec moi tous les jours, je me repose beaucoup sur elle. On ne part jamais en vacances. Seulement deux années d’affilée en Corse pour une grosse semaine. Partir, certes, sans jamais se vider la tête. Il y a les engagements à respecter, les propriétaires à informer, les problèmes à l’écurie. La dernière fois, on était encore sur le bateau, je n’avais pas posé le pied sur l’île qu’un gars de mon écurie s’était fait « taper » par un cheval. Et nous voilà vite replongés dans le contexte ». Une vie débridée. Mais les chevaux lui envoient tant de sincérité en retour. L’année 2021 a bien été celle de Cédric Rossi. Une victoire de Groupe I dans le Prix de l’Opéra  avec Rougir, l’avènement de Skazino et de Purplepay au plus haut niveau,… l’armée marseillaise est au garde-à-vous.

Un vrai Marseillais fidèle à ses racines

Sans oublier Sealiway qui revenait le 16 octobre d’Ascot fort des Champion Stakes. Royal ! « Battre les Anglais chez eux c’est sympa. Mon oncle, Frédéric, aurait peut-être fait pareil. Je n’ai rien inventé. Mais c’est beau. On est surpris d’évoluer au milieu de gens passionnés, au contraire de certains turfistes qu’on croise ici. Alors qu’on se promenait, bien avant la course, un mec m’a même abordé pour me demander un autographe. Du coup « Barza » et ma femme se sont un peu moqués de moi. Même si on a gagné à l’extérieur, tout le monde nous acclamait, nous lâchait des bravos. C’était incroyable. En France, quand les Anglais gagnent, on ne leur prête pas une telle attention. Il faudrait peut-être quelquefois se remettre en question », préconise t’il, fair-play et agacé. Cédric ne mâche jamais ses mots. Son côté « nounours ». « Je peux être très gentil, et je pense profondément que je suis un gentil garçon, mais après je peux être… disons que j’ai des bons et des mauvais côtés. Je m’emporte vite. Très vite. Je suis un peu foufou (rires), ou plutôt sanguin. Un vrai Marseillais. Ne me parlez pas du reste pas d’un ailleurs.  Si mon petit frère Charley s’était à une époque « expatrié », moi, je suis toujours resté fidèle à mes racines, mis à part dans ma jeunesse où je suis monté en Normandie effectuer quelques stages chez Jean-Etienne Dubois. Mais je suis vite revenu sur mes terres ». Un petit clin d’œil au trot, discipline dans laquelle il avait tour à tour démarré sa carrière chez les regrettés Louis Haret, François-Régis Le Vexier et Roland Jaffrelot. « Du reste Yannick-Alain Briand et David Bekaert m’ont téléphoné dimanche après la course de Skazino.  J’ai conservé beaucoup d’amis dans le milieu des trotteurs. Je pourrai aussi citer David Alexandre, Stéphane Cingland,… J’envisage du reste de me (re)lancer et d’acquérir un trotteur. On peut aussi parfois se faire plaisir, même s’il ne reste pas beaucoup de place dans ma vie ». En effet, Cagnes approche déjà. Moment idéal pour lancer quelques carrières. « On essaie de préparer les jeunes pour le meeting. Il y en aura un wagon. Je pense à Heliopolis, Max Verst,… un frère de Belgian Gentleman aussi que j’aime beaucoup ». Tout est planifié pour repartir sur une année 2022 aussi riche que celle en cours. « Le but est de toujours essayer de faire mieux d’une année sur l’autre. Mais la barre est haute. Je ne sais pas comment je vais m’y prendre. Je me suis lancé le défi de gagner l’Arc avec Sealiway. La famille Chehboub le mériterait tant pour son investissement. C’est jouable. Il lui manquait une vraie course cette année. Il l’a démontré la fois suivante à Ascot. On va prendre le programme comme il vient en allant en Asie, puis peut-être à Dubaï ou en Arabie Saoudite ». La Porte d’Aix et l’Arc de Triomphe, à l’architecture si semblable, n’ont jamais paru aussi proches.
 
Fabrice Rougier


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